Nous avons beau prétendre être 
décontracté, prendre une pose détachée, lorsque l'addition est présentée
 dans un restaurant que l'on découvre, il y a fatalement une petite 
accélération cardiaque, d'autant plus vive et pointue si les plats ont 
un peu déçu, ou si la carte a laissé entrevoir des prix sortant de notre
 zone de confort. Pour résister, certains pratiquent l'évitement en 
enquillant deux kirs, une bonne bouteille de Côtes du Rhône à 14,5 avant
 d'achever leur peur de l'instant fatidique à coups de vieilles prunes. 
D'autres deviennent des furieux du calcul mental, additionnant les 
montants au fur et à mesure de la commande, puis déconstruisant la note 
avec acharnement afin que chaque convive paie strictement son dû, 
pourboire proportionnel inclus. 
Pour ces derniers, la « vraie » trattoria italienne doit être une 
terrible épreuve. Par « vraie » j'entends ces cantines modestes en 
Italie où l'on est accueilli « comme à la maison » par un patron qui 
vient poser  une main rassurante sur notre épaule, celle du dentiste qui
 jure que tout va bien se passer, puis nous susurre dans l'oreille une 
litanie incompréhensible de plats, nous demande si l'on veut « du vin »,
 promet avec un sourire entendu qu'il a une excellente bouteille pour 
nous, arrache sa commande et s'en va préparer le festin sans mentionner 
de prix, sans donner de carte, et sans afficher de menu.
Il y a un peu de cette approche chez Fulvio, petit restaurant sarde 
perché dans le haut du Marais, près de l'opulente et irritante rue de 
Bretagne. Non que notre ami n'affiche pas ses prix, mais qu'un dîner là 
bas, si l'on n'a pas atteint un détachement éthéré envers des choses 
vulgaires comme la caillasse, s'achèvera forcément par une petite suée 
d'angoisse et un rapide calcul de rapport qualité prix, tournant et 
retournant l'équation insoluble (sauf dans l'alcool) suivante: un 
excellent plat de pâte peut-il valoir 30 euros?
Les partisans de la rationalité, défenseurs de la logique (les pâtes ça 
ne coûte rien donc ça ne peut être vendu cher) et de la clarté des prix 
(chez Hippopotamus ils ont baissé les prix de tous les plats, eux) 
détesteront l'endroit. D'autres, ayant pris la sage précaution d'éviter 
le week-end (la salle est toute petite et, bondée, doit être assez 
bruyante) et de casser au préalable leur PEL, pourront profiter de 
superbes propositions de pâtes variées et aux ingrédients alléchants: en
 ce lundi soir de septembre, nous avons dû choisir entre la poutargue, 
l'oursin, le tourteau, l'espadon, les cèpes, les girolles, les 
asperges... Le tout parfaitement exécuté, plein de saveurs, et bien 
enrobé  par un patron passionné par les beaux produits , et qui, la 
salle n'étant pas pleine, a pu prendre le temps de discourir avec nous 
sur les qualités de sa poutargue sarde. Les quantités sont généreuses, 
et les entrées (de bonne facture) se partagent généralement si l'on veut
 garder la place pour un dessert.
En résumé, Fulvio nous a beaucoup plus, et l'excellence de la 
dégustation vaut largement l'addition. Surtout après avoir abusé du bon 
vin sarde recommandé par la maison...
Addition: 60€ par personne
 Fulvio
4, rue du Poitou
Paris 3ème
01 42 71 62 80
 
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