Nous sommes allés chez Lao Lane Xang II,
appâtés par les critiques unanimement élogieuses, et tiraillés par
l'envie de replonger, le temps d'une soirée, dans l'atmosphère
joyeusement bordélique du chinatown du XIIIème. Franchi le carrefour de
Tolbiac, le long des avenues parallèles de Choisy et d'Ivry, sous la
canopée des marronniers, l'illusion d'une télé-transportation « là-bas »
est totale: les tours résidentielles des années 1970, le flot des
passants, les traiteurs et leurs canards laqués suspendus en vitrines,
les agences immobilières ou de voyages, les disquaires et libraires dans
les galeries marchandes aveugles, les boulangers et leurs énormes
gâteaux mousseux plâtrés à la crème blanche, les supérettes et l'odeur
fade et écoeurante des durians; tout tourbillonne autour de l'épicentre
absolu du quartier, les Frères Tang, ce grand hangar jouant au
supermarché, et sa longue file de voitures paralysées et klaxonnantes,
cherchant désespérément à entrer dans son parking souterrain gratuit le
dimanche après-midi.
Ce qui est frappant dans ce quartier, c'est qu'il est tout sauf chinois,
ou plutôt, il est chinois de partout, sauf de Chine: ses habitants sont
en majorité ethniquement chinois (du Guangdong), mais ils étaient
établis depuis des générations en Asie du sud-est, avant d'émigrer en
France, chassés par l'avancée du communisme: ils ont amenés dans leurs
bagages les goûts et les odeurs du Vietnam, du Laos, du Cambodge, la
citronnelle, la menthe, le nuoc-mam, plus que les raviolis et petits
pains de Pékin, les plats braisés à la sauce soja épaisse de Shanghai,
ou le feu des piments du Sichuan.
Pas étonnant finalement qu'en dehors de l'imputrescible Sinorama,
dernier vaillant défenseur de l'authentique cuisine cantonnaise, les
meilleurs plans du quartier soient plutôt de traquer un phô, de
poursuivre le bobun ou d'attaquer un poulet à la citronnelle.
Et chez Lao Lane Xang II, le terrain de chasse est incontestablement giboyeux.
Le restaurant est moderne, un peu comme ces cafés de boulevard
systématiquement relookés à la sauce Habitat, où triomphent écrans plats
et panneaux de particule gris, mais dans ce cas précis c'est loin
d'être irritant, notre ami se distinguant ainsi agréablement de ses
innombrables collègues aux décors désuets. L'accueil est pressé car le
succès du lieu est total: sans réservation, y compris un lundi soir, il
est inutile d'espérer entrer, et plusieurs services tournent sur chaque
table.
La carte, essentiellement laotienne avec quelques ajouts thai, est un
sans-faute: des currys très honorables, des tripes croustillantes,
onctueuses et poivrées, des brochettes de porc à la citronnelle vraiment
grillées et non baignées dans l'huile comme trop souvent, un « lap
nua » (salade au boeuf haché) plein de saveurs, des propositions de
légumes originales: pousses de bambous fraîches, cai lan sauté au
poisson séché.
En goûtant les plats, nous avons vite compris que la foule faisant la
queue jusque sur le trottoir, et les critiques unanimes, étaient dans le
vrai: on peut difficilement demander plus que des plats copieux, peu
onéreux, et goûteux.
Addition: environ 30€ par personne
Lao Lane Xang II
102, avenue d'Ivry
Paris 13ème
01 58 89 00 00
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