Nous sommes allés hier soir à La Régalade. 
Nouveaux venus dans le monde des restaurants parisiens, nous y sommes 
allés sur recommandation d’un expert en bons plans gastronomiques, 
cependant la prononciation du nom éveillait déjà un vague écho familier.
 Une rapide recherche sur internet a vite confirmé que nous touchions, 
sans le savoir, à un monstre sacré : La Régalade serait ni plus ni moins
 que « le » premier bistrot gastronomique, l’unique, le vrai, l’un. 
C’est l’histoire d’un jeune chef, Yves Camdeborde, partant du Crillon à 
vingt six ans au début des années 1990 pour aller reprendre un lieu 
anonyme et y déployer tout son art et sa technique, tremblement de terre
 donnant un coup de jeune au monde étriqué de la gastronomie parisienne,
 jusque là coincé entre ses grandes brasseries et ses restaurants 
étoilés.
C’est la naissance du phénomène bistronome, soit le 
beurre, l’argent du beurre, la crémière, en ceinture et bretelles : je 
vais manger de la cuisine étoilée, à base de produits du marché, avec 
des serveurs décontractés, au coude à coude avec des clients à mon 
image, vrais malins distingués, car amateurs de bonne chère mais pas 
guindés, le tout pour un prix accessible. Que demander de plus ? Bien 
sûr, comme le décoiffé se travaille minutieusement devant son miroir, la
 bonne franquette des origines a parfois généré chez les successeurs et 
les suiveurs des manifestations moins plaisantes:
 service stressant ou désinvolte, entassement des clients, suppléments 
élevés demandés dès que l’ombre d’un produit noble plane sur un plat. 
Bien sûr, Yves Camdeborde a vendu La Régalade et s’en est allé reprendre
 le Comptoir à Odéon. Que reste t’il alors de ce grand nom ?
Notre
 Régalade d’hier soir se trouvait difficilement, complétement perdue au 
fond d’une rue anonyme, étroite mais embouteillée, à une encablure des 
maréchaux, entre les portes d’Orléans de Châtillon. Un joli petit lieu 
sans prétention, mais chaleureux, ouvrant sur un zinc derrière lequel le
 chef servait des apéritifs. Des tables serrées, des boiseries et des 
murs jaunes, bien sûr. Quelques tableaux égayaient l’ensemble. Et le 
charme bistrotier a fonctionné, car l’accueil était adorable : des 
grands sourires nous accompagnent jusqu’à notre table, pourtant coincée 
contre celle de nos voisins. Le charme a fonctionné, car les serviettes 
épaisses étaient douces au toucher, car en guise de délicate mise en 
bouche, une terrine de campagne maison avec de grosses tranches de pain 
et un pot de cornichons se partageait entre les tables. Le charme a 
fonctionné, car en dépit d’une affluence impressionnante (salle comble 
au premier service, comble au deuxième à 21h30, et des habitués 
attendant pour un troisième service), nous n’avons à aucun moment été 
pressés. Car les clients attendant leur table ne s’impatientaient pas, 
jouissant tranquillement du moment offert pour prendre l’apéritif au bar
 avec le patron. Car la cuisine était excellente, tendance saveurs 
fortes: beaucoup d’herbes fraîches, du gros sel craquant. Un pressé de 
cuisses de canard aux foie gras et de superbes asperges blanches à la 
vinaigrettes d’herbes, parfaitement charnues et cuites, en entrée, puis 
des filets de dorade rôtis au fenouil, jus de viande aux olives, et un 
suprême de volaille doré sur la peau, au foie gras et au persil, avec 
ses pois et une purée à la moutarde à l’ancienne. Pour finir, un 
reblochon bien affiné et un clafoutis aux cerises et mirabelles. Le tout
 accompagné d’un puissant coteaux du Languedoc.
La Régalade se 
porte comme un charme. Nous souhaitons le meilleur à ses nombreux 
disciples, successeurs, imitateurs, car le plus dur est devant eux : 
arriver, autour d’une bonne cuisine, à cultiver cet accueil et cette 
générosité.
Addition : 50€ par personne (menu à 32€)
La Régalade
49, avenue Jean Moulin
Paris 14ème
01 45 45 68 58
 
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