samedi 10 octobre 2015

Le Chateaubriand: ciselé et plein de surprises


Le Chateaubriand n'est pas un nom anodin. Au delà de l'établissement bistrotier sis au sud de Belleville, ce nom, à peine prononcé, est un surpuissant concentré des débats qui agitent les gourmands parisiens depuis quelques années. Ainsi, on proposerait de la cuisine gastronomique en s'encanaillant dans un bistrot tout simple de l'est-parisien, sans les flonflons et le décorum de rigueur? Pis, et contrairement aux bistronomes qui ont au moins pour eux leur long apprentissage dans l'ombre de grands chefs, on serait totalement autodidacte? Et Basque espagnol, c'est à dire pas Français? Et on serait mieux classé dans les charts outre-manche que nos illustres maisons michelinées, fierté de notre pays, premier défenseur de ce patrimoine mondial de l'Unesco qu'est la gastronomie française? Pour moi, le label Unesco protégeait des ruines menacées de disparition... alors, le Chateaubriand, symbole d'une nouvelle ère?

Nous étions quasi effrayés de visiter l'objet d'un débat aussi animé. Et puis nous y sommes allés, pour des retrouvailles à deux un soir de semaine avant Noël, quand il fallait encore slalomer entre les amoncellements humides de boue neigeuse avenue Parmentier, le visage picoré par de fins flocons.

Une fois les rideaux de la porte d'entrée franchis, nous avons été accueillis par une belle salle haute de plafond, aux murs jaunis, aux tables en bois sombre occupées par une assistance mixte, une bonne dose d'habitués de l'est parisien, des touristes anglo-saxons plus âgés photographiant leurs plats avec leurs téléphones, une table d'hommes d'affaires en civil, certainement de sortie entre de deux jours de séminaire, une autre de jeunes dandys longilines multipliant les allers-retours pour fumer leurs cigarettes dehors, dans l'air glacé.

Puis le serveur est arrivé, symbolisant à lui seul l'esprit du lieu: l'alliance d'un certain jeunisme et d'une extrême recherche, de la barbe de trois jours, du cheveu décoiffé, du tutoiement facile certes, mais aussi la mise en carafe un brin grandiloquente de notre côte de Beaune, et la présentation vive et passionnée de l'interminable menu unique concocté par le maître de maison.

Un verre de blanc de Touraine primeur légèrement trouble accompagné de petites gougères au pavot a ouvert le bal, puis les assiettes ont succédé aux assiettes: trois mises en bouche, conçues comme un échauffement des papilles: l'acidulé d'un ceviche de bar, la chaleur et les épices d'une petite bouillabaisse, l'onctuosité d'une mousse au gras de jamon iberico sur le léger croquant amer d'un choux de Bruxelles. 

Puis est venue l'entrée, un incroyable trait de fraîcheur et de vivacité: des noix de saint jacques à peine cuites, accompagnée de lamelles de radis jaunes et rouge et du zeste de cédrat. L'esprit encore troublé par ce plat, nous avons ensuite enchaîné sur un pavé de lieu jaune aux trompettes de la mort et truffe, dans une sauce pil-pil un poil trop assagie à notre goût, puis de l'agneau à la betterave, quatre petits morceaux de cuisson différentes, posés sur une crème d'un éclatant rose-rouge. En dessert nous avons partagé un assortiment de fromages et une glace au sarrasin et salsifi (je crois) restée incomprise, notre mémoire indisciplinée associant irrémédiablement son goût au smecta.

Au final, à travers ce menu, nous avons découvert un vrai caractère, une facilité étonnante à sublimer chaque aliment pris individuellement, en lui même. Rien d'étonnant à ce que l'on cuise à peine au Chateaubriand, bien au contraire on exprime le goût du produit « cru » en tranchant, en blanchissant, en associant, pour que notre palais serve d'ultime marmite et que chaque goût y laisse une durable impression. Il y a quelque chose des salades thailandaises, associant viande à peine cuite, herbes, zestes de citronelle, dans cette manière de faire.

Ainsi le Chateaubriand, à l'image de ses assiettes, fait coexister quelques tics de style, une belle inventivité et un vrai respect des produits. Pour nous une seule chose importait: à l'issue de notre dîner nous avions rangé dans un coin tout considération gastronomique, ayant surtout la certitude d'avoir passé une superbe soirée à deux.

Addition: 70 euros par personne (menu unique à 50€)

Le Chateaubriand
129, avenue Parmentier
Paris 11ème
01 43 57 45 95

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