C'est un ami venu de loin, de la côte
pacifique du Canada, qui, lorsque nous avons voulu choisir le restaurant
de nos retrouvailles, a dédaigné nos propositions de bistrots gastros,
pour nous réclamer, par pitié, « des bactéries ».
Son long séjour dans un milieu anglo-saxon où fourmillent les
propositions calibrées, parfaites à gifler tant elles alignent
d'impeccables poncifs, gastronomie méditerranéo-macrobiotique, décors
contemporains tirés de wallpaper, cuisine apparente, vins du monde en
ballons de dégustation et serveurs méticuleusement décoiffés, l'avait
ramené à un stade bien plus primaire, un besoin guttural de renifler,
frotter, mastiquer, pourlécher du bon produit en terrain connu: du
saucisson raide et desséché, musqué et piquant, des tranches épaisses de
pâté humide, terreux, friable, des fromages au lait cru ratatinés, dont
la croûte brunie et durcie cède sur une chair dorée, onctueuse et
puissamment odorante.
Alors nous avons évité les adresses trop pointues, celles où l'on va
parce que tel jeune chef, où l'on débat de l'origine des produits, on
dissèque les tours de main, on jauge les présentations, on critique et
compare pour mieux se féliciter de la pertinence de ses jugements
croisés, nous avons marché tranquillement le long de la rue du château
d'eau à la tombée de la nuit, dans l'air frais et humide, et sommes
entrés dans un petit établissement faisant le coin avec le marché Saint
Martin, un lieu ressemblant à n'importe quel café parisien, le Réveil du
Xème.
Le Réveil du Xème nous a accueilli comme il se doit, dans son décor en
formica figé depuis des décennies, serveuse efficace et gouailleuse en
plein coup de feu, clientèle nombreuse, tordant le cou pour lire les
ardoises placardées aux murs, et commandant fillettes de saint pourçain
ou de beaujolais, accompagnées de planches de charcuterie ou de vieille
fourme et de saint nectaire affiné.
Non, personne n'a l'idée malsaine d'aller au Réveil pour faire le beau.
On y va, modeste, pour profiter de vrais produits auvergnats, préparés
au plus simple, sans concession aucune à l'air du temps qui impose que
les plats s'allègent, que les haricots verts remplacent les frites, et
que les sauces soient servies à part. Cela commence par de la terrine de
sanglier, du foie gras, du cou farci, ou du pâté de tête, avant
d'attaquer le choux farci, l'onglet-échalotes, le confit, l'entrecôte,
le tripoux. Le tout à des prix extrêmement raisonnables.
Alors les rondes de côtes du Rhône se sont succédées, l'ambiance de nos
petit groupe s'est animée et avinée, et quand nous sommes ressortis,
estomac sous tension et esprit joyeux, j'ai compris à un petit soupir de
satisfaction que notre ami avait enfin retrouvé ce qu'il était venu
chercher.
Addition: 30 à 40 euros par personne
Le Réveil du Xème
35, rue du château d'eau
Paris 10ème
01 42 41 77 59
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