Certains dimanches soirs, l'apéro achevé, 
on hésite à faire du chemin pour aller dîner et, dans une logique 
territoriale rassurante, on se rabat sur les restaurants disponibles 
dans le coin. Ce soir là nous étions canal saint martin, il faisait 
encore beau et clair, et les rebords en pierre humide du canal étaient 
couverts de badauds affalés, accoudés, en tailleur, chaussures enlevées,
 profitant des rayons bas du soleil, partageant biscuits apéritifs 
amenés dans un sac en plastique froissé, se passant tour à tour 
bouteilles de rosé tiède et cigarettes, sous les regards blasés d'un 
lent flot continu de promeneurs: cyclistes casqués ou débutants en 
rollers fendant les grappes plus lourdes de jeunes couples à poussettes,
 ou de familles trainant des mômes revêches accrochés à leurs 
trottinettes.
Nous sommes allés en face, rue de Lancry, pour trouver, en lieu et place
 d'un bistrot très agréable il y a quelques années, un restaurant Thai: 
Mme Shawn. Disons-le tout net: le lieu est un concentré de ce qui peut 
déplaire. Déjà le sous-titre «thai cuisine», à la typographie 
soigneusement polie par une agence de com', annonce la couleur: pas de 
Thailande ici, mais un idéal londonien de minimalisme exotique 
contemporain, serveurs uniformément mode, clients puants et vigiles à 
oreillette inclus. La décoration est à l'avenant, concentré de tics 
horripilants, qu'on soupçonne déjà caducs tant ils sont conçus pour 
coller à l'air du temps. Et notre esprit se perd en conjectures: 
l'énorme boule à poils métalliques rose en guise de plafonnier a t-elle 
une signification particulière? Serait-ce un symbole paix ? Un litchi 
géant bienveillant? Un rebut d'Habitat triplement soldé? Pourquoi des 
murs d'anciens bistrots repeints en gris béton? Pour nous imposer une 
ambiance « de la night », idéale pour jeter un voile pudique sur le 
contenu des plats? Pour faire ressortir les dorures des éléphants et la 
lumière vacillante des bougies, facilitant les rapprochements intimes? 
Mme Shawn, ou l'épate facile à grandes cuillerées de phad thai, dernière
 station avant une sauvage étreinte au curry?
On comprend mieux pourquoi la cuisine n'est pas le point fort du lieu: 
des plats corrects, mais dans une variante bien trop sage, rappelant de 
la cuisine d'aéroport. Une carte déséquilibrée mettant l'accent sur les «
 plats-repas » individuels: bo-buns, riz sautés, nouilles sautées, 
accentuant la désagréable impression d'un snack. Un seule proposition de
 légumes (un chop suey indéfini, bien sûr, permettant de jeter dans un 
wok n'importe quel mélange de légumes surgelés déstocké chez Métro), 
rendant impossible la composition d'un repas où l'on partage plusieurs 
plats.
Allez Mme Shawn, on ne peut pas tout vous reprocher: au moins vous 
n'avez pas l'indécence de faire payer cher les plats, et le restaurant 
ne dépareille pas le long de cette rive ouest du canal: entre les vieux 
beaux attablés en terrasse chez Prune, dînant d'une assiette de tacos au
 guacamole, et le service exécrable de La Marine, votre bistrot, copie 
toc de Thai londonien égarée dans un terminal de Heathrow, n'est pas 
forcément le plus vilain de la bande.
Addition: 30€ par personne
 Mme Shawn
56, rue de Lancry
Paris 10ème
01 42 38 07 37
 
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