Voici un petit restaurant; niché dans les
rues calmes (mortes?) du nord de la coulée verte, qui a bien fait parler
de lui cette année, porté par une folle rumeur, une lueur d'espoir:
oui, enfin, un frémissement affleurait dans le monde sinistré de la
gastronomie chinoise à Paris, univers sur la défensive, comme dévitalisé
et effrayé par l'abondance, l'énergie brute et les prix imbattables des
centaines d'établissements peuplant les chinatowns du XIIIème arrondissement et de Belleville.
De fait, Paris possède très peu de restaurants chinois haut de gamme, et un petit tour à Shanghai, Hong- Kong ou Taipei
suffit pour déchirer le voile et mettre à nu la pauvreté des ambitions
culinaires des rares établissements chics de la capitale, satisfaits
d'épater le curieux en placardant un cadre opulent (les dragons de
pierre de Tsé Yang trônant avenue Pierre 1er de Serbie) sur des plats
sans grande personnalité.
Pire, d'autres misent sur une pseudo carte "sino-thai", s'affranchissant
de toute logique régionale ou nationale et n'hésitant pas à faire
flotter, dans une vilaine apesanteur de cuisine internationale, canards
pékinois, porcs sauce aigre douce, currys thais et salades de pomelos:
aurait-on idée de proposer là bas, dans les miroirs d'un décor grand
siècle de carton pâte, une cuisine "franco-allemande" brassant galettes
bretonnes, bouillabaisse, pot au feu, magret de canard, kartoffelsalat
et currywurst?
Face à ces horreurs, il semble que notre Shan Goût soit entré en
résistance en proposant une carte avec de vraies racines régionales (la
cuisine du Sichuan): salade piquante de concombre, boeuf froid épicé,
nouilles à la pâte de sésame, poulet froid mariné au vin de riz sont
autant de propositions rares.
Shan Goût se veut également gastronome: et offre, dans un joli
contre-pied aux menus à rallonge standardisés, une carte réduite, "à
l'occidentale", cinq ou six entrées puis plats habilement présentés.
Alors Shan Goût, réussite totale? Malheureusement, la réalité n'est pas
totalement à la hauteur de l'espoir créé par ces louables intentions.
L'idée d'un bistrot chinois est ravissante, mais la petite salle
chichement décorée fait triste figure quand on songe aux boudoirs
gastronomiques meublés d'antiquités peuplant les hauteurs de SoHo à
Hong-Kong.
Ne proposer, tel un grand chef, que quelques plats, pourquoi pas, mais
la cuisine, plaisante, n'est pas non plus excellente, à l'image d'un
poulet aux châtaignes cuit à l'étuvée affadi par le choix d'y mettre des
blancs de poulet et non le volatile entier, comme ce type de plat
l'exige.
Enfin, certaines portions sont si ridiculement petites qu'elles
suscitent l'incompréhension. Quelle équation économique secrète pousse
le chef, lorsqu'on commande un malheureux plat de choux chinois (le
vulgaire bai cai), à présenter une feuille de choux de 30 grammes
tranchée en quatre dans une soucoupe de tasse de café? Quel but caché
poursuit Shan Goût? Donner une médaille au premier client affamé qui
commandera cinq fois le même plat? Vivre pendant un an du même choux et
s'épargner ainsi des courses chez Frères Tang? Surtout: comment peut-on
prétendre revenir à l'essence de la cuisine chinoise et oublier
l'essentiel, l'esprit de générosité et d'abondance qui la caractérise?
Le mystère de ce ballon d'essai, frustrant car imparfait, reste entier.
Mais nous ne désespérons pas de voir des successeurs corriger ces
défauts dans un futur proche...
Addition: 40 euros par personne
Shan Goût
22 rue Hector Malot
Paris 12ème
01 43 40 62 14
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