samedi 10 octobre 2015

Shan Gout: la Chine anorexique

Voici un petit restaurant; niché dans les rues calmes (mortes?) du nord de la coulée verte, qui a bien fait parler de lui cette année, porté par une folle rumeur, une lueur d'espoir: oui, enfin, un frémissement affleurait dans le monde sinistré de la gastronomie chinoise à Paris, univers sur la défensive, comme dévitalisé et effrayé par l'abondance, l'énergie brute et les prix imbattables des centaines d'établissements peuplant les chinatowns du XIIIème arrondissement et de Belleville.

De fait, Paris possède très peu de restaurants chinois haut de gamme, et un petit tour à Shanghai, Hong- Kong ou Taipei suffit pour déchirer le voile et mettre à nu la pauvreté des ambitions culinaires des rares établissements chics de la capitale, satisfaits d'épater le curieux en placardant un cadre opulent (les dragons de pierre de Tsé Yang trônant avenue Pierre 1er de Serbie) sur des plats sans grande personnalité.

Pire, d'autres misent sur une pseudo carte "sino-thai", s'affranchissant de toute logique régionale ou nationale et n'hésitant pas à faire flotter, dans une vilaine apesanteur de cuisine internationale, canards pékinois, porcs sauce aigre douce, currys thais et salades de pomelos: aurait-on idée de proposer là bas, dans les miroirs d'un décor grand siècle de carton pâte, une cuisine "franco-allemande" brassant galettes bretonnes, bouillabaisse, pot au feu, magret de canard, kartoffelsalat et currywurst?

Face à ces horreurs, il semble que notre Shan Goût soit entré en résistance en proposant une carte avec de vraies racines régionales (la cuisine du Sichuan): salade piquante de concombre, boeuf froid épicé, nouilles à la pâte de sésame, poulet froid mariné au vin de riz sont autant de propositions rares.

Shan Goût se veut également gastronome: et offre, dans un joli contre-pied aux menus à rallonge standardisés, une carte réduite, "à l'occidentale", cinq ou six entrées puis plats habilement présentés.

Alors Shan Goût, réussite totale? Malheureusement, la réalité n'est pas totalement à la hauteur de l'espoir créé par ces louables intentions. L'idée d'un bistrot chinois est ravissante, mais la petite salle chichement décorée fait triste figure quand on songe aux boudoirs gastronomiques meublés d'antiquités peuplant les hauteurs de SoHo à Hong-Kong.

Ne proposer, tel un grand chef, que quelques plats, pourquoi pas, mais la cuisine, plaisante, n'est pas non plus excellente, à l'image d'un poulet aux châtaignes cuit à l'étuvée affadi par le choix d'y mettre des blancs de poulet et non le volatile entier, comme ce type de plat l'exige.

Enfin, certaines portions sont si ridiculement petites qu'elles suscitent l'incompréhension. Quelle équation économique secrète pousse le chef, lorsqu'on commande un malheureux plat de choux chinois (le vulgaire bai cai), à présenter une feuille de choux de 30 grammes tranchée en quatre dans une soucoupe de tasse de café? Quel but caché poursuit Shan Goût? Donner une médaille au premier client affamé qui commandera cinq fois le même plat? Vivre pendant un an du même choux et s'épargner ainsi des courses chez Frères Tang? Surtout: comment peut-on prétendre revenir à l'essence de la cuisine chinoise et oublier l'essentiel, l'esprit de générosité et d'abondance qui la caractérise?

Le mystère de ce ballon d'essai, frustrant car imparfait, reste entier. Mais nous ne désespérons pas de voir des successeurs corriger ces défauts dans un futur proche...

Addition: 40 euros par personne

Shan Goût
22 rue Hector Malot
Paris 12ème
01 43 40 62 14

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